Modes de scrutin à la française et astuces électorales - Actualité - Discussions
Marsh Posté le 04-02-2003 à 10:18:56
Pour les Européennes, si on se place dans une logique d'élimination des petits partis (non-UMP/PS), la réforme est oblige à trouver des têtes de liste fortes. A titre personnel, j'estime qu'un député européen doit plus représenter un pays dans son ensemble qu'une région, mais bon, pourquoi pas.
Pour les Régionales, le coup du 10% des inscrits (du type 12.5% des inscrits aux législatives pour se maintenir) ne va pas aider à la lisibilité des résultats. Quoique le bonus à la liste en tête contrebalance le tout.
Au final, on souhaite que les alliances soient négociées avant et pas après les élections. La droite ne voudrait-elle pas revivre les alliances des dernières régionales?
Marsh Posté le 04-02-2003 à 09:47:33
Une tradition établie et regrettable veut, en France, qu'on modifie les modes de scrutin en profitant de la majorité que l'on détient à l'Assemblée nationale, sans préparer et sans exiger une large entente entre les partis. Il est en effet commode de changer les règles du jeu sans l'accord de tous les joueurs. C'est ce que l'on va faire pour les deux élections qui vont intervenir l'an prochain : les régionales et les européennes.
Les élections régionales se déroulaient dans le cadre des départements. Ce qui était paradoxal. Les électeurs voteront désormais dans le cadre régional. Les socialistes en avaient décidé ainsi en 1999, et le gouvernement confirme leur choix aujourd'hui. Si l'on souhaite donner aux régions une identité politique plus forte, c'est un progrès.
Mais, pour n'effrayer personne, on garantira aux départements une représentation conforme à leurs populations respectives. Comme on ne veut s'en remettre ni à la sagesse des électeurs ni à la prudence des politiques, vertus immanentes des législateurs et des administrations centrales, on prendra les citoyens par la main en leur offrant des bulletins de vote sur lesquels la liste régionale présentée par le parti qu'ils choisissent sera découpée en colonnes correspondant à des quotas de candidats départementaux. Pourquoi faire simple, en effet, quand on peut faire compliqué ? Après tout, cette complexité tutélaire est au service d'une intention conciliatrice : enraciner la région sans effacer le département.
Toujours en 1999, les socialistes avaient modifié ce mode de scrutin en y ajoutant un correctif majoritaire décisif. La liste arrivée en tête obtiendrait ipso facto 25 % des sièges, le reste étant réparti à la proportionnelle entre elle-même et les autres listes.
Le but poursuivi étant d'assurer une majorité stable, découlant d'une liste éventuellement recomposée au second tour, et non d'une coalition.
Le gouvernement Raffarin reprend cette disposition et va au-delà dans le sens majoritaire : il a d'abord estimé qu'il faudra obtenir 10 % des suffrages exprimés pour pouvoir se maintenir au second tour et qu'on ne pourrait agréger aux listes retenues au tour final que celles qui ont obtenu au moins 5 % des suffrages. Avec ce système, la liste arrivée en tête au second tour, avec au moins 34,15 % des voix, est certaine d'obtenir la majorité au sein du conseil régional, d'autant que la probabilité que plus de deux listes restent en tête a été considérablement réduite. En outre, on accentue encore ces effets en décidant, comme vient de le faire le premier ministre, de calculer le seuil de 10 % par rapport aux inscrits et non plus par rapport aux suffrages exprimés. Dans ce cas, pour survivre au second tour, il faut avoir récolté au moins 14 % des voix au premier tour (dans l'hypothèse de 30 % d'abstentions). Si l'Assemblée nationale acceptait ce genre d'excentricité, elle inventerait un mode inédit de scrutin : la proportionnelle par antiphrase.
Mais les stratèges politiques ressemblent aux stratèges militaires : ils rejouent les batailles du passé et manquent les guerres de l'avenir. La droite veut reprendre le contrôle de l'Ile-de-France, de la Haute-Normandie et des régions Centre et Provence-Alpes-Côte d'Azur, qu'elle a perdues au profit de la gauche et à cause du Front national.
Elle espère aussi affaiblir encore l'UDF. Simplement, elle oublie que le FN la menace moins et elle sous-estime deux effets. Elle favorise grandement l'union des gauches en offrant au Parti socialiste l'instrument d'hégémonie qui lui manquait au détriment des communistes, des chevènementistes, des Verts et des gauchistes. Elle alimente les frustrations, les ressentiments et les vindictes que crée inévitablement la non-représentation, c'est-à-dire le scrutin "majoritaire", qu'il serait d'ailleurs plus exact d'appeler aussi "minoritaire", puisqu'il a pour mission et souvent pour résultat de donner le pouvoir à la plus forte des minorités. L'expérience des autres pays européens montre que les coalitions que favorise la proportionnelle réduisent les tensions, modèrent les extrêmes et appuient les majorités légales sur des majorités réelles. Ce qui est souhaitable surtout dans les régions. On peut plaider, en effet, la nécessité d'une majorité (même minoritaire dans le pays) pour un Parlement. Il en est autrement à l'échelon régional, où on ne débat pas de questions décisives, mais où on organise la vie quotidienne des Français.
La tentation majoritaire ne peut pas jouer pleinement pour les élections européennes parce que la proportionnelle est devenue la règle de droit qui s'impose à tous les pays européens, y compris au Royaume-Uni, pourtant encore plus allergique que nous à ce mode de scrutin (décision du Conseil européen, conforme à l'avis du Parlement européen, du 21 mai 2002).
Nous pourrions donc conserver le mode de scrutin décidé en 1977 et appliqué sans interruption depuis 1979. Il avait pour avantage d'être simple (circonscription unique, répartition des sièges entre les listes à la plus forte moyenne, sauf pour des listes ayant obtenu moins de 5 % des suffrages exprimés). L'utilisation de la technique de la plus forte moyenne et l'existence de cette barre corrigeaient un peu ce système et l'éloignaient de la proportionnelle intégrale. Cette méthode avait été choisie en 1977 pour deux raisons. Les gaullistes d'alors étaient réservés sur l'élection du Parlement européen au suffrage universel et ils s'appuyaient sur le Conseil constitutionnel, qui avait laissé entendre que "l'indivisibilité de la République" pourrait interdire la division du territoire en circonscriptions.
SYSTÈME MIXTE
Si les gaullistes d'aujourd'hui renoncent à leur ancienne doctrine, ce n'est pas tant, sans doute, qu'ils aient changé de philosophie et qu'ils considèrent que plus rien ne menace l'unité nationale au sein de "la fédération d'Etats-nations"que l'Europe constitue désormais à leurs yeux. C'est surtout que l'UMP redoute de livrer cette bataille électorale selon la règle actuelle. Dans cette épreuve, Michel Rocard et quelques autres ont perdu leurs espérances présidentielles. Il est donc vraisemblable qu'Alain Juppé ne veut pas s'en servir comme tremplin. Au demeurant, on invoque l'idée selon laquelle il serait mieux pour le Parlement européen et pour la France que des élus choisis dans une pluralité de circonscriptions se trouvent plus proches de leurs électeurs et donc de la réalité des problèmes qui les concernent directement.
Contre tout découpage de cette sorte, on pourra dire qu'il empêchera ou plutôt atténuera le débat national sur les grandes questions européennes (la Constitution, l'élargissement, la candidature de la Turquie). On objectera aussi qu'il est regrettable, après cinq élections consécutives, de renoncer à un système auquel les électeurs s'étaient accoutumés et qui reste en place dans un grand nombre de pays européens.
Mais l'argument selon lequel il faut rapprocher l'élu de l'électeur et représenter au Parlement européen les régions françaises dans leur diversité ne manque pas non plus de force. On comprend qu'il l'emporte aux yeux d'un gouvernement qui, s'il faut l'en croire, place la décentralisation en tête de ses préoccupations.
Cette considération aurait pu conduire à retenir les régions actuelles comme circonscriptions électorales. Mais plusieurs d'entre elles sont peu peuplées et n'auraient pu désigner qu'un ou deux députés. Pour permettre à la proportionnelle de jouer, il aurait aussi fallu compléter la désignation régionale par la désignation à l'échelon national d'une dizaine de députés. Ceux-ci étant élus à la plus forte moyenne en additionnant les résultats obtenus dans les régions par les différents partis. Ce qui profiterait aux petites listes et rendrait l'ensemble bien proportionnel. Ce système mixte aurait le mérite de respecter à la fois les régions, la règle européenne et le principe d'égalité.
On a préféré cependant un système différent. La circonscription ne sera pas la région. On créera artificiellement huit circonscriptions interrégionales de dimensions démographiques à peu près égales mais hétéroclites. Par exemple, on dessinera dans le Sud-Est une entité politique étrange s'étendant de Lyon à Ajaccio.
On peut dire, politiquement, que le scrutin régional sera franchement défavorable aux petites formations et que le scrutin européen le sera moins. Mais le sera tout de même par rapport à la situation présente puisque, lorsque l'on réduit la dimension de la circonscription sans compensation, on réduit toujours les effets de la proportionnelle.
Si l'astuce consiste à donner le sentiment qu'on peut satisfaire à des obligations contradictoires, à rendre en fait "majoritaire" un scrutin présenté comme proportionnel et à régionaliser un scrutin national sans respecter les régions, les projets du gouvernement sont assurément astucieux.
Jean-Claude Casanova pour Le Monde
Vous en pensez quoi ? J'ai pas vraiment vu le sens de la modification des élections européennes, ce scrutin marchait bien, pas de raison de bouger
sur les régionales, il y avait un pb évident, la solution adpotée me parait tordue. une prime au premier aurait suffit, à mon avis.
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« Le verbe "aimer" est le plus compliqué de la langue. Son passé n'est jamais simple, son présent n'est qu'imparfait et son futur toujours conditionnel. » Jean Cocteau